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« La mise à l’écart sportive de la Russie pourrait aller jusqu’à l’exclusion de ses équipes nationales »

Géopolitologue du sport et spécialiste de la Russie, Lukas Aubin observe, à la faveur du conflit en Ukraine, un changement de comportement des instances sportives, jusque-là plus habituées à dissocier le sport de la politique.

Propos recueillis par 

Publié le 26 février 2022 à 19h26, modifié le 28 février 2022 à 17h17

Temps de Lecture 4 min.

Le président russe, Vladimir Poutine, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, le 4 février 2022.

Alors que l’invasion russe en Ukraine se poursuit, les fédérations internationales et instances sportives réagissent en cascade par des prises de position qui tranchent avec leur habituelle promotion d’un sport apolitique. Lukas Aubin, géopolitologue du sport auprès de l’Institut de relations internationales et stratégiques et auteur de La sportokratura sous Vladimir Poutine : une géopolitique du sport russe (Bréal, 2021), estime que les sanctions sportives contre la Russie pourraient se durcir, mais qu’elles ne freineront pas, à elles seules, le président russe.

Beaucoup d’événements sportifs auxquels doivent participer des équipes russes sont aujourd’hui annulés ou reportés. Y a-t-il, à terme, un risque d’exclusion des équipes russes de compétitions comme les qualifications à la Coupe du monde de football, l’Euroligue ou les Jeux paralympiques ?

C’est une question à laquelle on n’a pas encore de réponse précise. L’Union européenne des associations de football, l’UEFA, a pris rapidement une décision importante en délocalisant la finale de la Ligue des champions de Saint-Pétersbourg au Stade de France, la formule 1 a annulé son Grand Prix à Sotchi et le Comité international olympique (CIO) a demandé aux fédérations internationales de boycotter les événements en Russie. Tout cela mis bout à bout laisse penser qu’il est possible que la mise à l’écart sportive de la Russie aille jusqu’à l’exclusion de ses équipes nationales. Cela pourrait concerner des compétitions comme les Jeux paralympiques (4-13 mars) ou les qualifications à la Coupe du monde de football.

Plusieurs nations, comme la Pologne, sont défiantes et ne veulent pas affronter la Russie. Cela va poser d’autres questions, à la Fédération internationale de football (FIFA) dans ce cas-là : exclut-on la Pologne ou bien la Russie ? Jusqu’à présent, les conséquences sportives d’affaires impliquant la Russie, dont celles pour dopage, n’étaient pas à la hauteur des fautes commises, mais cette fois-ci on a la sensation que l’on a franchi un palier et qu’il sera difficile pour beaucoup d’instances de revenir en arrière.

Le CIO et l’UEFA, qui prônent habituellement un sport dépolitisé, ont cette fois pris position. Y a-t-il des causes plus défendables que d’autres pour ces instances ?

Jusqu’à très récemment, les grandes instances refusaient de mêler le sport et la politique et défendaient un caractère apolitique du sport, mais tout le monde savait que c’était une impasse. Bon nombre d’analystes ont démontré que le sport est un élément fondamentalement politique, que c’est une arme d’influence utilisée par les nations. Et, finalement, à l’exception jusqu’ici de la FIFA, ces instances prennent leur responsabilité devant le caractère exceptionnel de la situation.

La Fédération internationale de volley-ball a confirmé sa volonté de maintenir son Mondial en Russie (26 août-11 septembre), tandis que la F1 a annulé son Grand Prix à Sotchi (25 septembre). Certaines fédérations peuvent-elles se permettre, davantage que d’autres, de tourner le dos à la Russie ?

Les fédérations les plus riches, celles qui sont le plus à l’aise financièrement, auront à mon avis plus de facilité à se passer de sponsors ou à annuler des événements. L’UEFA pense à se séparer du sponsor Gazprom pendant un temps, mais on imagine bien que la Fédération internationale de volley est plus fragile. Quand on n’a pas les mêmes fonds, on ne dispose pas de la même marge de manœuvre. Après, il y aura aussi des choix politiques, avec des arbitrages à faire.

Des sportifs russes renommés, comme le footballeur Fedor Smolov ou le joueur de tennis Andrey Rublev, ont pris position contre la guerre. Que risquent-ils ?

Tout dépend de la situation du sportif, s’il est en activité ou non, s’il joue en Russie ou à l’étranger. La plupart des équipes professionnelles russes de football, par exemple, sont contrôlées et financées par des oligarques proches du président, Vladimir Poutine. Et dès lors qu’un élément ne suit pas la ligne du pouvoir, il est réprimé.

On peut aussi se rappeler l’exemple du hockeyeur russe Artemi Panarine, qui joue avec les Rangers de New York. Au début de 2021, il avait appelé sur les réseaux sociaux à la libération de l’opposant Alexeï Navalny. En réponse, il avait subi ce qu’on appelle le kompromat [la publication d’informations compromettantes]. Un proche de Vladimir Poutine était intervenu à la télévision pour affirmer que le hockeyeur n’était pas quelqu’un de fréquentable puisqu’il avait agressé une femme dans un bar de Riga, en Lettonie, une dizaine d’années auparavant, sans aucune preuve.

Et s’il a été réintégré par son club, qui a jugé que c’était un coup monté de la part des autorités russes, il n’a en revanche plus jamais porté le maillot de la sélection russe alors qu’il en était, avant cet épisode, un titulaire indiscutable. On a là l’une des conséquences possibles à la prise de parole contre le pouvoir lorsqu’on est un sportif russe. C’est ce qui pourrait arriver à Fedor Smolov.

Ces réactions en chaîne peuvent-elles peser pour faire reculer Vladimir Poutine ?

Je pense qu’il est un peu présomptueux de penser que cela peut le faire reculer. Ce serait donner trop d’importance au sport. Mais disons qu’un rapport de forces est en train de s’installer entre Vladimir Poutine et ses concurrents et que si le sport seul ne peut faire pencher la balance, toutes ces sanctions dans différents domaines peuvent potentiellement toucher le président russe et son régime.

Ces réactions sont tout de même gênantes, car le sport est une arme de « soft power » que le président Poutine utilise régulièrement pour améliorer son image et celle de son pouvoir. Mais on remarque que depuis le premier conflit en Crimée, en 2014, puis les affaires de dopage, ce « soft power » sportif s’est déjà un peu retourné contre lui. Le sport est finalement devenu un élément de sa puissance à l’échelle interne et non plus à l’échelle externe. Il était censé améliorer l’image de la Russie, mais aujourd’hui, quand vous pensez à la Russie et au sport, vous pensez au dopage, pas à des performances de sportifs russes. C’est un signal d’un échec de sa stratégie.

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