«Radins» ou «économes» ? Cinq questions sur ces Etats «frugaux» au coeur de la relance européenne

Cinq pays souhaitent limiter et conditionner les aides dans le cadre du plan de relance européen. Les discussions doivent reprendre ce lundi en fin d’après-midi, au quatrième jour du sommet.

 Le Premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte, est l’une des figures représentants ces Etats « frugaux ».
Le Premier ministre des Pays-Bas, Mark Rutte, est l’une des figures représentants ces Etats « frugaux ». Reuters/John Thys

    Un sommet qui s'éternise… avant la fumée blanche? Les dirigeants des 27 Etats de l'Union européenne sont toujours réunis à Bruxelles pour tenter de s'accorder sur un plan de relance de 750 milliards d'euros, destiné à profiter aux économies ravagées par la pandémie de Covid-19. Leur sommet était pourtant censé s'achever vendredi, mais les négociations achoppent.

    La France, mais aussi l'Italie et l'Espagne, font partie des pays qui devraient le plus bénéficier de ces aides. En face, un petit groupe d'Etats dits « frugaux », emmenés par les Pays-Bas, bloque pour l'instant la signature d'un accord. Dans leur viseur : le montant des subventions jugé trop élevé, ainsi que leur volonté d'une gouvernance pour « vérifier » ce qu'il adviendra des fonds.

    Quels sont les pays dits « frugaux » ?

    Ils sont quatre à être qualifiés ainsi, par les diplomates, à Bruxelles et par extension dans les médias : les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l'Autriche. La Finlande les a rejoints dans leur position. À eux cinq, ils représentent « seulement » 48,2 milliards d'habitants, soit moins de 10 % de la population européenne. C'est aussi l'équivalent de la seule Espagne, et moins que la France, l'Italie, et l'Allemagne.

    Pourquoi les qualifie-t-on ainsi ?

    Ces pays, à commencer par les Pays-Bas et la Suède, ont tous fait ces dix ou quinze dernières années des réformes drastiques de leur marché du travail et/ou de leur système de retraites. Ce qui leur a permis de beaucoup diminuer leur endettement. Aux Pays-Bas, par exemple, celui-ci atteint moins de 50 % de PIB en 2019, contre près de 70 % cinq ans plus tôt.

    Ce terme « frugaux » renvoie, par extension, à leur opposition farouche à tout endettement et à leur volonté de limiter l'impact financier, pour eux, du plan de relance souhaité par l'Europe. Car ils ne veulent pas que leurs efforts soient mis à mal s'ils doivent aider très généreusement des pays « cigales », France comprise, qu'ils accusent de n'avoir rien fait pour éponger leur déficit. Traditionnellement, ces pays sont aussi très exigeants en matière de transparence et de contrôle de l'utilisation de l'argent public.

    Certains dirigeants et observateurs préfèrent les qualifier de « radins ». « Ce sont des États radins, égoïstes et repliés sur eux-mêmes, qui profitent le plus du marché intérieur européen », juge Jean-Dominique Giuliani, président de la fondation Robert Schuman. De fait, ce marché européen rapporte aux Pays-Bas onze fois ce qu'il lui coûte.

    « C'est un peu prendre parti que d'estimer qu'ils sont frugaux et c'est carrément stigmatisant de les qualifier de radins », estime de son côté Patrick Martin-Genier, enseignant à Sciences-po, qui préfère le qualificatif d' « économes ». « Ils gèrent leurs finances publiques avec prudence en s'occupant, avant tout, des intérêts de leurs contribuables, comme de bons pères de famille », ajoute ce spécialiste des questions européennes.

    Quelle est leur position ?

    Ces Etats demandent plusieurs choses dans le cadre de ces négociations européennes. D'une part, que l'enveloppe totale d'aides soit le plus possible composée de prêts. Concernant les dons, que les pays bénéficiaires n'auraient pas à rembourser, ils souhaitent que le montant total soit limité à 350 milliards d'euros maximum. Au départ de la négociation, ils voulaient même le cantonner à… 160 milliards !

    D'autre part, ils insistent pour avoir un droit de regard sur ce qu'il adviendra des fonds. Le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, souhaite notamment que chacun des 27 plans de relance de chaque pays soit validé à l'unanimité en conseil européen. Côté français, on refuse qu'un seul Etat puisse ainsi « prendre en otage » le plan de relance européen.

    Sur le terrain, beaucoup d'habitants refusent de se considérer comme radins et se disent prêts à la solidarité, mais pas si c'est systématiquement pour payer pour les autres qui ne font pas d'efforts. Et si leurs dirigeants lâchent trop de lest, ils pourraient être concurrencés nationalement par des partis populistes.

    Pourquoi ça bloque ?

    En face, l'argument est qu'il ne s'agit pas d'une crise comme celle de la dette grecque entre 2010 et 2015, mais d'une pandémie qui frappe tout le monde, d'où une exigence de solidarité.

    Alors, hors de question de s'accorder sur un montant de subventions jugé trop faible. La France, l'Allemagne et d'autres pays ont proposé dimanche soir de descendre à hauteur de 400 milliards de dons, contre 500 milliards dans la proposition initiale. Ce qui constitue déjà une claque pour le couple franco-allemand, surtout pour l'Elysée qui avait dit et répété que les 500 milliards étaient une « ligne rouge ». Plus prudente et plus expérimentée, Angela Merkel ne l'a jamais formulé ainsi. Mais même 400 milliards, cela reste un geste insuffisant pour convaincre les « frugaux ».

    Quant au droit de regard voulu par ces derniers, certains Etats du sud, comme l'Espagne et l'Italie, n'en veulent pas. Ils y voient un retour déguisé de la « troïka », cette alliance entre la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international pendant la crise grecque.

    Et ce ne sont pas les seuls points de blocage. Les Pays-Bas, alliés à la France sur ce sujet, aimeraient notamment que le versement des aides soit conditionné au respect de l'état de droit. Ce qui a déjà suscité la colère du Premier ministre hongrois, le populiste Viktor Orban, dont le pays fait l'objet d'une procédure de l'UE pour manquement aux « valeurs européennes ».

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    Le problème étant que les 27 Etats européennes doivent s'accorder à l'unanimité sur ces sujets financiers, comme le prévoient les traités de l'UE. Un droit de veto qu'utilisent, comme ils en ont parfaitement le droit, les cinq « petits » pays dont il est question.

    « C'est un vrai problème qui fait que l'Europe est en train de se désintégrer. Si on vote à l'unanimité et si un petit pays peut systématiquement bloquer une décision, c'est la fin de l'Europe », se désole Patrick Martin-Genier.

    Que pourrait-il se passer désormais ?

    Les négociations doivent reprendre à 16 heures ce lundi, mais les tractations diplomatiques se poursuivent toute la journée. « Un accord est possible et un accord est nécessaire », veut croire Bruno Le Maire, interrogé ce lundi matin sur RMC et BFMTV. « Il faut que tout le monde fasse un effort », implore également Jean-Dominique Giuliani. Sous le manteau, un diplomate français reproche aux « frugaux » de se comporter comme le Royaume-Uni lors des négociations sur le Brexit, en cherchant à maximiser leurs avantages.

    Un déblocage pourrait venir des « rabais » accordés par l'UE à certains Etats sur leur contribution financière. Concrètement, dans le budget pluriannuel européen 2021-2027, les quatre « frugaux » reçoivent ensemble trois milliards d'euros par an. La dernière concession augmentait ce montant de 100 millions supplémentaires par an.

    Si la perspective d'un véritable accord semble s'éloigner, celle de l'absence de tout compromis semble peu probable également. Un entre-deux qui risque, au final, de décevoir tout le monde alors que l'Europe était très attendue dans sa réponse à la crise du coronavirus.