Il aura fallu quatre jours et quatre nuits aux dirigeants européens pour tomber d'accord, à l'aube du 21 juillet, sur le plan de relance de l'économie post-coronavirus. ll sera financé par un emprunt commun de la Commission européenne pour les 27, du jamais vu dans l'histoire de l'Union. Après moult tergiversations, 750 milliards d'euros seront débloqués, dont 390 en subventions. C'est nettement moins que les 500 milliards initialement préconisés par le couple franco-allemand. Le reste de l'enveloppe sera constitué de prêts.

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Quant au prochain budget de l'UE, également négocié lors de ce marathon, il s'élève à 1074 milliards euros pour sept ans (2021-2027), soit 154 milliards d'euros annuels. Mais pour en arriver là, la route a été longue, le bras de fer sans merci. Face à face, les "frugaux" (Pays-Bas, Suède, Danemark et Autriche) et les Etats dits "solidaires" - France et Allemagne en tête. "Il y a encore quelques semaines, l'idée même de recourir à des subventions semblait totalement ubuesque, alors qu'aujourd'hui, nous y sommes. C'est un long chemin qui a été parcouru", souligne Marta Pilati, chercheuse au sein du laboratoire d'idées European Policy Centre (EPC) à Bruxelles. La France devrait bénéficier de quelque 35 ou 40 milliards d'euros de subventions.

Mark Rutte, intraitable "Monsieur Non"

Au cours de ces 92 heures de tractations, un homme a brillé par son intransigeance : Mark Rutte. Considéré comme le "champion des frugaux", le Premier ministre néerlandais n'a jamais été convaincu du bien-fondé d'une relance commune, encore moins via des subventions, qui ne constituent à ses yeux que des cadeaux aux Etats. Lui ne jurait que par d'éventuels prêts - à rembourser au centime près.

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Durant quatre jours, Mark Rutte a ouvert plusieurs fronts, provoquant l'ire de ses homologues européens, qui ont pointé du doigt son manque de solidarité. Dans la nuit de samedi à dimanche, alors que les pourparlers patinaient, le président Emmanuel Macron a même menacé de quitter la table des négociations (réclamant que l'on tienne son avion prêt à le ramener à Paris), alors qu'Angela Merkel était sur le point de lui emboîter le pas.

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L'Italien Giuseppe Conte aurait, lui aussi, eu des mots très durs envers Mark Rutte. "Vous pourriez être un héros dans votre patrie pendant quelques jours, mais après quelques semaines, vous serez tenu responsable devant tous les citoyens européens d'avoir bloqué une réponse adéquate et efficace", lui aurait-il lancé. "On voit assez nettement que le Premier ministre néerlandais a tout fait pour peser bien plus que son poids politique réel. Le couple franco-allemand n'étant plus aussi puissant qu'auparavant, de petits Etats ont la tentation de se prendre pour des grands", constate Eric Maurice, directeur du bureau bruxellois de la fondation Robert Schuman.

Les "frugaux" sauvent leur rabais

Mark Rutte et les autres "radins" ont donc fini par lâcher du lest, mais au prix de nombreuses concessions. Leur principal trophée ? Le maintien des "rabais", ces fameuses ristournes sur la contribution au budget commun, dont bénéficient l'Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas, l'Autriche et la Suède. Cette question a toujours empoisonné les relations entre les Vingt-sept, et ces négociations n'ont pas fait exception. Pendant quatre jours, les "frugaux" (tous contributeurs nets au budget) n'ont rien lâché. Mieux, ils ont réussi à augmenter le montant de ces ristournes. Avec 3 671 millions d'euros "offerts" par an, l'Allemagne tire le gros lot, suivie par les Pays-Bas (1,921 milliard d'euros annuels de rabais).

La France était pourtant bien décidée à profiter du Brexit pour en finir avec ce système - pensé initialement pour le Royaume-Uni, mais jugé injuste par une majorité d'États-membres. Malgré tout, Emmanuel Macron a parlé d'un "jour historique" pour l'Europe. Le Portugais Antonio Costa s'est réjoui de la "confiance" qui pourra être rétablie grâce à cet accord. Pour le commissaire européen responsable de l'Economie, l'Italien Paolo Gentiloni, c'est "la décision économique la plus importante depuis l'introduction de l'euro".

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Qu'en pense-t-on au Parlement européen ? Arnaud Danjean appelle à rester "lucide face à la communication euphorique qui ponctue la dramaturgie du sommet européen". Pour l'élu Les Républicains, "il ne pouvait pas ne pas y avoir d'accord : face à une crise inédite, tout le monde avaient trop à perdre sur les plans politique et économique, y compris les "frugaux". Quelle est maintenant la prochaine étape ? Le Parlement européen va devoir valider le budget européen, mais le vote ne devrait pas se tenir avant le mois de novembre. La chancelière allemande a déjà dit craindre des "discussions difficiles" avec les eurodéputés.

Avec les députés, des discussions difficiles en vue

Ces derniers risquent notamment de déplorer les coupes budgétaires dans certains projets d'avenir. Parmi eux, la recherche. L'enveloppe du projet Horizon Europe n'est plus que de 5 milliards d'euros - contre 13 avant les négociations. L'environnement ? Le "Fonds pour une transition juste", élément central du "Green deal", supposé aidé les pays à prendre un tournant vert, tombe à 10 milliards d'euros, contre 30 précédemment. "L'Union de la santé", pourtant bienvenue en pleine crise pandémique ? Réduite à peau de chagrin. "De grands dommages causés aux ambitions initiales", s'insurge l'élu écologiste belge Philippe Lamberts. Pour boucler le prochain budget, les eurodéputés réclament en outre de nouvelles ressources propres. Or, l'accord signé mardi 21 juillet n'envisage que l'introduction d'une "taxe" liée aux déchets d'emballages en plastique non recyclés. Reste à voir si ce "premier pas" - selon l'expression utilisée dans les 68 pages de conclusion - suffira à convaincre les parlementaires.

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