Le premier ministre hongrois Viktor Orban se met habillement en position d’exiger « des excuses » à ses détracteurs, en éteignant la polémique qu’il a lui-même provoquée. Pointé du doigt pour avoir mis en place, le 30 mars dernier, un état d’urgence sanitaire sans limite dans le temps, voilà à présent qu’il y met un terme de lui-même.

ANALYSE. Hongrie : inquiétudes sur les pouvoirs renforcés de Viktor Orban

La fin de « l’ordre juridique spécial » a été votée à l’unanimité des 192 députés présents, mardi 16 juin, dans une assemblée largement dominée par son parti national-conservateur, le Fidesz. Une mesure qui devrait prendre effet dès le 20 juin.

Le coup d’un tacticien

Le 12 avril dernier, la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, avait promis à la Hongrie des poursuites judiciaires concernant l’état d’urgence, « si les restrictions vont au-delà de ce qui est autorisé ». Le Parlement européen avait pour sa part jugé la disposition « incompatible » avec les valeurs de l’Union. Et quatorze États européens ont de leur côté alerté contre les violations de l’état de droit dans l’UE au motif de la lutte contre l’épidémie de Covid-19.

A priori, l’affaire n’ira pas plus loin. D’ici à la fin de la semaine, l’autorisation de circuler dans les pays les plus touchés par l’épidémie sera rétablie, de même que la liberté de rassemblement, avec la promesse d’un retour à la vie normale. Après plusieurs semaines de confinement, le gouvernement se félicite d’une gestion exemplaire, alors que le pays a été relativement peu touché par le virus (565 décès pour un peu plus de 4 000 infections). Viktor Orban en ressort renforcé dans les sondages.

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Sa cote de sympathie dépasse les 60 %, tandis que celle de l’opposition s’érode. « Le gouvernement a exploité dans toute la mesure possible les opportunités créées par l’état d’urgence et l’environnement politique », note l’institut de recherches Political Capital. Ce n’est pas la première fois que Viktor Orban, régulièrement épinglé pour ses attaques contre l’opposition, les médias, les universités, les ONG, les demandeurs d’asile, joue avec les limites de l’admissible vis-à-vis de ses partenaires européens.

L’illusion d’un retour en arrière

L’état d’urgence laissera pourtant des traces. Pendant ces dernières semaines, la police aura enquêté sur plus d’une centaine de personnes à l’origine de critiques sur la gestion de l’épidémie. Par ailleurs, la fin des mesures d’exception n’est pas synonyme de retour à la situation antérieure.

Dorénavant, en vertu de la nouvelle loi adoptée, le gouvernement pourra de nouveau instaurer, mais sans l’aval du parlement, sur le seul conseil des autorités de santé, un « état de crise médicale », pour six mois reconductibles. « C’est un piège ignoble pour l’opposition : le député qui vote pour dissoudre l’état d’urgence doit dans le même temps donner son feu vert à l’instauration à tout moment des pleins pouvoirs », a contesté le député Hadhazy Akos, co-président du parti « La politique peut être différente » (LMP), qui a boycotté la session parlementaire.

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L’opposition, qui a reconquis une dizaine de villes dont la capitale Budapest en octobre dernier grâce à une stratégie d’union sacrée, s’inquiète enfin de la confirmation d’une mesure prise par décret et qui reviendrait à tarir leurs finances locales.

La loi prolonge en effet la possibilité de créer des zones économiques spéciales pour attirer des investissements massifs, mais la fiscalité échapperait aux municipalités au profit des régions (les « comtés »)… à majorité Fidesz partout.